Comment rendre hommage à Jean Broustra ?

L’affaire n’est pas simple car l’homme a réalisé une véritable œuvre de sa vie… et il y a tant à dire.

Toutefois, une chose est sûre, Libourne est triste… et l’atelier Colimason, au dernier étage là-haut du bâtiment des consultations de l’hôpital Garderose a baissé son rideau ce soir pour dire au revoir à son fondateur.

Oui ! parce que Jean, nous le savons tous ici … ce fut le créateur inconditionnel d’une psychiatrie libre et humaniste, un clinicien de la psychose où je le cite « le sujet pris entre l’opacité des choses et la glaciation abstraite du discours peut s’engager dans sa capacité créatrice. »

Jean nous a réunis, sa force fut celle-ci, associée à sa conviction de constituer des équipes pluridisciplinaires, dans la continuité de Francis Jeanson, mais aussi sous l’ inspiration de Jean Oury, Roger Gentis, François Tosquelles…

Créer des espaces où quelque chose puisse se produire, où s’éprouve la conquête d’espaces du dire. Et il s’en est produit des choses, nous en avons parcouru des kilomètres de collage, soulevés des kilos de colle et des pots de peinture, arpenté des mètres carrés de danse…et des heures de lectures et de paroles partagées.

Nous nous sommes retrouvé.e.s « emBroustrabarquées » dans une sacrée aventure …
Sa capacité inventive avec la psychiatrie est née dans les années 70 à l’hôpital Charles Perrens, associé à sa collaboration première avec le Dr Michel Demangeat, puis très vite de la rencontre fertile avec Guy Lafargue et de leur collaboration engagée au service des patients et de l’expression.

A cette aventure, s’est associée plus tard Jean -Marie Robine, puis Jeanine Chauvin.
L’IRAE, puis l’Art Cru ont successivement vu le jour.
D’autres noms sont venus rejoindre cette pépinière active : Marc Guiraud, Françoise Quéheillard, Claude Sternis, Corinne Mascarro, puis Evelyne Bouchonnier… Des créations innovantes, puissantes, conduites avec une énergie insatiable, une force créatrice toujours en éveil, et un goût pour le combat sans relâche afin de permettre au sujet d’exprimer ce qui lui importe sans être soumis à la répression.

Ce mouvement désaliéniste dont Jean aimait à se revendiquer, il l’a porté avec énergie au sein de l’hôpital Garderose dont il a été médecin chef de service de 1978 à 2005.
« J’ai la chance de travailler écrit-il en 1986 avec une équipe à qui je suis très redevable de l’évolution de ma réflexion. »
Nous pouvons aujourd’hui lui retourner ce compliment…nous avons eu beaucoup de chance de travailler avec lui.

Convoitée, enviée parfois, cette équipe des ateliers d’expression a fait couler beaucoup d’encre et de salive… Travailler dans le service de Jean Broustra était une véritable ambition professionnelle, des choix évidents pour de nombreux soignants.
A l’heure de l’ouverture de l’hôpital de Jour La Clé des Champs en 1985 ou du CATTP Sésame en 1992, il a toujours fédéré de nombreux soignants pour penser avec lui ce qui lui tenait particulièrement à cœur : l’articulation du soin, de la santé mentale, de la culture et des espaces sociaux.

Impossible de tous les nommer ici, mais à l’heure des ateliers je pense de nouveau à Jeanine en tout premier lieu… puis à Danièle Artola, Liliane Marin, Jean-Michel Bernard puis je pense à Dominique Deviers, Michel Senut, Cathy Castandet, Dominique Sarrazin, mais aussi Nadine Dubroca, Nicole Thort.
Dans cette énergie qui ambitionnait la place du patient au cœur de de la Cité, nous avons ensemble, fondé l’Association Passage avec très vite le soutien indéfectible de Michel Chauvin pendant plus de 30 ans. Chacun se souviendra des séminaires, des colloques en partenariat avec la ville de Libourne, la médiathèque et nos expositions…Passage, maillon vital de nos engagements citoyens…

Plus que des collaborateurs de la première heure, nous étions des amis…Jeanine et moi, petites fourmis toujours prêtes à prendre notre valise pour aller sillonner la France, faire vivre l’expression dans des formations enjouées… mais aussi hors frontière. Les souvenirs de la Belgique sont des petites perles de mémoire…mais ceux de Suisse sous la bannière de l’art cru sont ancrés dans ma chair, depuis Lausanne jusqu’à Montreux en passant par Bex. Je sais aussi l’attachement de Jean pour Genève et ses liens forts avec Jacques Stitelmann.
J’ai toujours mesuré et aujourd’hui encore, la chance immense de cette expérience humaine, de cette association et les partages qui vont avec, cette fraternité…

Merci à Denis Pillette, au départ à la retraite de Jean, d’avoir engagé sa responsabilité médicale pour que les ateliers d’expression de Libourne poursuivent leur mission dans la continuité et aujourd’hui encore avec Aurélie Naulet dans une passation active dont elle poursuit la vivance.

Le médecin psychiatre en avait sous le chapeau, toujours en recherche, jamais lassé de penser…l’écrivain avait aussi la plume alerte, facétieuse, Jean savait faire danser la langue… mais n’oublions pas l’artiste, l’inventeur des langages, « théoricien de la créativité , de l’expression et de la psychose ». Tel est l’hommage que lui rend Claude Sternis, son amie Parisienne auprès de qui il a œuvré encore ces dernières années au sein de l’association Asphodèle.

Ces dernières années, bien qu’à la retraite depuis longtemps, Jean poursuivait son œuvre d’écriture… Il m’a encore récemment parlé d’un livre sur Hans Prinzhorn qu’il venait de terminer et dont il espérait la publication prochainement malgré la crise sanitaire que nous traversons.

Il a beaucoup soutenu Jacqueline, son épouse, dans ses derniers moments de dépendance…et jusqu’à l’an passé, nous nous réunissions encore chez eux afin de continuer à faire vivre le séminaire de TRAIT pour TRAIT auquel il était particulièrement attaché et dont il avait pris la direction à la suite du décès de Michel Demangeat.

Nous y travaillions sur le Destin… et le jour de sa mort, j’ai pensé à cet intitulé : le destin ! …oui…partir un 1er Avril, franchement Jean ça vous ressemble tellement cette pirouette au destin, ce clin d’œil facétieux, un message pour que ça continue…comme l’écrivait en titre d’un article un de ses confrères et ami Pierre Delion, oui pour que ça continue !

Sylvie Archambeau 5 Avril 2021